Michel Dufour, jeune homme mince qui débarque du train de Paris est un fils de bonne famille, pas un fils à papa. Avant d'arriver ici, à La Rochelle, il a accompli son Service national et, surtout, passé quelques mois en Algérie. Car nous sommes en 1957; là-bas, c'est la guerre. Même sans combattre, ce genre d'expérience vous fait perdre quelques illusions sur la nature humaine.

 

Michel Dufour, 1,73 mètre, yeux gris bleu, cheveux bruns, est un gars du Nord, ainé d'une fratrie de trois. Son père ? Un homme à poigne, tout en droiture autoritaire et morale chrétienne. Il est à la tête d'une entreprise de 80 personnes, spécialisée dans le gros appareillage électrique. Une exigence de réussite sociale pour ses fils. Études pour tous dans une école catholique. Pas d'argent de poche. L'éducation est rigoureuse, fondée sur le devoir, pas sur le dialogue et la convivialité.

 

Dans les années 1950, à Lille, on ne badine pas avec les vieux principes. Quand Michel, diplôme des Hautes études industrielles en poche, tente de travailler dans l'entreprise familiale, les relations se grippent vite. Il avait du caractère et des idées dérangeantes, bien trop avant-gardistes pour notre père..» se souvient Brigitte, sa sœur. Le hasard d'une petite annonce conduit Michel à plus de 600 kilomètres du domicile familial. Le voilà chez Brissonneau et Lotz, un fabricant de matériel ferroviaire installé à Aytré, près de La Rochelle.

 

En quelques mois, le nouvel ingénieur adjoint du service Méthodes découvre la voile et s'offre un Vaurien. En ce temps, la cale de mise à l'eau des dériveurs est aussi celle du chantier Hervé. Logique qu'un jour, le chemin de Michel Dufour croise celui du patron, Fernand Hervé, dit «Tonton», une figure locale. «Avec lui, j'ai tout appris...» confiera Michel Dufour à notre collaborateur Jean Dousset. Les deux amis courent le Fastnet et l'Admiral's Cup à bord d'Éloise.

 

Curieux, chaleureux, Michel Du­four connaît vite le milieu de la voile rochelaise. Ce battant qui aime les règles et le jeu de la régate se passionne pour le voilier en tant qu'objet d'études, sans accorder le moindre intérêt aux mondanités codées des yachtmen. Pour autant, l'ingénieur n'est pas du genre à partir en quête d'identité dans les navigations hauturières. La mer ne le fascine pas. L'homme - bientôt propriétaire d'un Corsaire, puis d'un Requin - est plus proche de la rigueur du théoricien de la voile Manfred Curry (qu'il a lu, adolescent), que du lyrisme fiévreux d'Alain Gerbault. À l'usine, Michel Dufour prend la direction de l'atelier polyester.

 

Ce nouveau matériau est utilisé pour l'avant des locomotives, les portes ou la ventilation... Et serait idéal pour le voilier auquel il pense depuis longtemps. « Dessine-le donc toi-même, ton fameux voilier ! » lui lance un jour Paulette, l'épouse de Fernand Hervé. "C'est le déclic. « Dans les réunions du matin à l'usine, Michel n'écoutait pas, il crayonnait des bateaux », se souvient Jean Jacquemin, un autre ami, ingénieur chez Brissonneau et Lotz. Il fait de même sur les nappes en papier du restaurant « Chez André », où il a ses habitudes. Un soir, il débarque chez son équipier, Francis Des­champs, avec de la pâte à modeler. « Il avait son idée.

 

En travaillant cette pâte, nous avons trouvé la forme à donner au rouf de son futur bateau, le Sylphe ». Pour la carène, il fait confiance à son expérience de la voile, son coup de crayon et sa connaissance des lois hydrodynamiques. La direction de l'usine d'Aytré refuse de se lancer dans l'aventure, mais donne son accord au départ de James Léger, trente ans, père de deux enfants, chef d'équipe à l'atelier polyester. «Il a réussi à me convaincre de quitter un bon boulot régulier pour un projet hypothétique. Je ne connaissais rien au bateau, mais créer quelque chose m'enthousiasmait.» Tout est à faire. À commencer par trouver de l'argent. Ses économies d'ingénieur salarié sont insuffisantes ? Michel Dufour les place en bourse, spécule et perd tout ! Il vend sa voiture, son bateau et emprunte 60 000 francs... L'atelier sera un coin de hangar à grains, loué dans la banlieue de La Rochelle, à Saint-Xandre. On en chasse les poules. Pendant que Léger et quatre ouvriers construisent les pièces-mères et les moules, Michel pointe à l'usine et s'en échappe dès que possible pour suivre les travaux. «Tout de même, en arrivant à La Rochelle, j'avais l'idée d'être patron ! D'être à mon compte ! Quelque chose dans le genre super-artisan !» dira-t-il à Jean Dousset, vingt ans après.

 

À l'automne 1964, au bout de huit mois de travail, le premier Sylphe est mis à l'eau. Il est immédiatement acheté par Do­minique Trentesaux, un Nordiste, comme Michel. Cette vente est un ballon d'oxygène pour l'équipe du Stratifié Industriel, le nom de la société que vient de créer Michel Dufour. Un deuxième bateau peut être construit pour être présenté au Salon nautique de janvier 1965. Il n'attire aucun acheteur, mais plaît à la presse. Contre moulé, le Sylphe offre une finition inégalée et est livré prêt à naviguer, avec la batterie de casseroles et le tire-bouchon ! «Il me disait : "Même dans les fonds, dans ce qui ne se voit pas, tu ne trouveras pas un acier autre que de l'inox!" se rappelle Bertrand Chéret, alors journaliste aux Cahiers du Yachting. Plus tard, quand je réalisais les voiles de ses bateaux, il voulait du vrai Dacron, de chez Du Pont de Nemours, et pas autre chose. Cette volonté, ce perfectionnisme, cette honnêteté l'ont mis parfois dans des situations difficiles.» Le bateau, que l'on croyait trop large pour être rapide, gagne pourtant la Semaine de La Rochelle 1965. Un atout de plus pour Michel Dufour qui part en tournée de démonstration sur le littoral avec son Sylphe. Il reviendra avec une douzaine de clients. Les ouvriers du Stratifié Industriel n'auront bientôt plus le temps de fabriquer les carrosseries des Sovam, voitures de sport d'un fabricant de Parthenay, aujourd'hui objets de collection...

 

Alors que son atelier ne dispose que d'un morceau de hangar et de la ligne téléphonique du voisin, Michel Dufour affirme déjà, avec une franchise maladroite, son ambition d'être à la tête du premier chantier européen. Et il réussira. Obstiné, combatif, c'est un visionnaire - parfois imprudent -qui saura faire de la construction des voiliers une industrie. Cette ambition est servie par sa ténacité et une réelle créativité. Sur les quais de La Rochelle, avec son éternel complet veston, qu'il porte même en navigation, l'ingénieur a des airs de professeur Tournesol. «Après chaque régate, alors que les concurrents pique-niquaient sur les bateaux, Michel restait toujours sérieux, préoccupé, une règle à calcul à la main. Il ne s'amusait pas, ne sortait pas de son projet», raconte Fran­çoise Fouré, son ancienne secrétaire. Une attitude qu'expliqué Brigitte, sa sœur, restée dans le Nord de la France. «Quand il se prenait de passion pour quelque chose, il ne s'économisait pas, il allait jusqu'au bout.»

 

Si l'homme est un peu embarrassé de sa personne, mal à l'aise avec les femmes, il adore les débats. À la «Cafétéria», le bistrot des voileux d'alors, les discussions, sur les sujets les plus divers, peuvent se prolonger jusqu'à la fermeture. Elles se muent en joutes oratoires. Michel Dufour, féru d'économie et de politique, lecteur assidu du Monde et de The Economist, aime refaire le monde... Il va faire un nouveau bateau !

 

En 1966, juste à côté du chantier, il reçoit les visiteurs dans la maquette grandeur nature des emménagements de son prochain voilier. C'est autour de ce vaste volume intérieur, rationnellement aménagé et testé, qu'est conçu l'Arpège. Extrapolation du Sylphe, il offre, pour l'époque, un des meilleurs compromis dans l'éternelle lutte entre confort et performances. .. Par manque de place, James Léger fait les tracés du bateau dans la salle des fêtes de Saint-Xandre.

 

Un prototype est construit. Avant de le présenter au Salon 1967, Michel Dufour exige de naviguer à bord. «Un soir de décembre, nous sortons tous les deux... pour nous échouer, à marée descendante, près de la tour Richelieu ! raconte Ber­trand Chéret. Nous voilà coincés, recroquevillés sous les voiles; l'entrée de la cabine, encore dépourvue de panneau, était ouverte à un vent d'Est glacial... A une heure du matin, on se déséchoue. Et Michel a insisté pour aller virer le phare de Chauvaux. Nous sommes revenus au près en grelottant. Je faisais cela pour lui, sans raison professionnelle. Il avait tellement envie que ça marche !» Son énergie, son charisme emportent l'adhésion de quiconque s'intéresse à son entreprise. Et d'un coup vient le succès, celui qui dépasse, stimule et inquiète.

 

À Paris, l'Arpège est bien accueilli, malgré un franc-bord alors jugé excessif. Le bateau est célébré en Angleterre et gagne des régates un peu partout. Fini les réticences à l'encontre de ce polyester si froid, si impersonnel ! D'une année sur l'autre, les ventes triplent. De 19 voiliers produits par le Stratifié Industriel en 1965-66, on passe à 58 en 1966-67, puis à 158 en 1967-68 ! Les locaux s'avèrent vite trop exigus. Les ateliers s'éparpillent entre la rue des Chantiers et la Ville en Bois. On embauche à tour de bras les meilleurs ou­vriers de la région. Ce qui, pour James Léger, était une aventure devient un engagement total. «Pendant huit ans, le travail permanent. Jamais de congés, de vacances ! Quand on est embarqué dans une histoire pareille, il faut aller jusqu'au bout.»

 

Compétent, concret, pragmatique, il est l'alter-ego du créateur-ingénieur. L'un conçoit, démarche, vend, l'autre réalise, dirige la production, suit les problèmes quotidiens. Michel Dufour fait feu de tout bois. Il développe les ventes à l'export et achète la licence du soling, quillard olympique, en espérant intéresser les États-Unis. Un fiasco: seuls 155 de ces voiliers sont vendus... Plastiflex, une fabrique de caoutchouc qui produit notamment les pneus miniatures des jouets Dinky Toys, est à vendre. Elle permettra notamment de mettre en place la première chaîne de montage des Arpège. En attendant mieux.

 

Un coup de puce inattendu vient de l'Assemblée nationale. Elle vote la fin de l'exonération des bateaux de plaisance. Au 1er janvier 1969, une TVA de 13 % va s'appliquer et passera à 16,66 % un an plus tard. Avant la date fatidique, c'est la ruée. «C'était incroyable. Les gens nous suppliaient de leur fournir un Arpège! se souvient Françoise Fouré. Entre l'été 1968 et janvier 1969, nous en vendions une quinzaine par semaine, au prix de 56 300 francs exactement ! Nous étions incapables de tout livrer avant janvier. Puisque nous avions en stock les matières premières nécessaires à leur fabrication, les Affaires maritimes, compréhensives, ont alors immatriculé quelques bateaux encore dans des bidons...»

 

Le premier actionnaire s'étant retiré, Michel Dufour fait appel aux amis (dont Francis Deschamps et Jean-Claude Sacré) et accepte l'aide de son père pour financer cette croissance. Il est temps de réorganiser l'entreprise. En janvier 1969, le Stratifié Industriel devient Michel Dufour SA, un nom plus parlant à l'exportation. Côté publicité, Dufour n'hésite pas à financer des pleines pages en couleurs dans les revues spécialisées. Il permet aussi à Jean-Yves Terlain de participer à la Trans­pacifique 1969 à bord de Blue Arpège. Bien qu'arrivé à Tokyo dix jours après Tabarly sur Pen Duick V, la réputation de fiabilité du bateau est mise en valeur... Blue Arpège est même honoré de façon insolite : vendu sur place, il sera surmoulé et produit illégalement ! À La Rochelle, James Léger organise le travail en jonglant entre les divers ateliers. En 1970, Michel Dufour SA fabrique plus de 300 voiliers, dont le dernier-né, le Safari.

 

Un an plus tard, toute la production est réunie dans une usine flambant neuve, spécialement construite à Périgny. Cette fois, ce sont les banques qui investissent. «Devant nous, une pompe nous aspirait, c'était la demande. Pour la suivre, nous avions une croissance beaucoup trop rapide, explique James Léger. Mats notre usine qui sortait un bateau par jour, la première du genre, bluffait même les Américains !» Une chaîne de montage avec les bateaux installés sur des bers roulants, des quais permettant le travail à niveau, des systèmes de levage, un bassin d'essais... Michel a créé un outil à la hauteur de son ambition. En cinq ans, il est devenu le plus gros chantier français, et ne s'arrêtera pas là.

 

Dans sa vie, il n'y a pas d'autre place que son entreprise. «Sa passion pour son travail était dévorante. Il me disait: "J'aimerais bien me marier, mais je ne peux pas faire un père de famille, je ne suis pas assez disponible!"» se souvient Francis Des­champs. Michel Dufour, d'une sensibilité à fleur de peau, dort peu et garde une activité intellectuelle permanente. Malgré la réussite, ce célibataire vit de façon ascétique, un peu à la manière d'un moine-soldat. « Ce qui lui a manqué, c'était le désir de gagner de l'argent, estime Jean-Claude Sacré. Il s'en fichait, il n'était pas un homme de plaisirs. » Françoise Fouré et Ber­trand Chéret renchérissent : «Son appartement était vide. Dans la salle de séjour, pas de meubles, mais des paquets de revues techniques. Ses vêtements étaient suspendus à des cintres accrochés aux tringles à rideau. Le lit était un matelas posé sur le sol. C'est tout.» Quand Michel Dufour consent à partir à Avoriaz avec ses amis, il passe trois jours en costume et chaussures de ville dans la neige, avant qu'une bonne âme lui conseille une tenue plus adaptée... Pourtant, cet homme en apparence fragile est devenu un patron courtisé. Il crée des emplois par dizaines et entraîne toute la profession en avant. Les fournisseurs d'accastillage, comme Goïot ou Lewmar, n'avaient jamais autant vendu. Les salaires flambent. L'entreprise est un rouleau compresseur. Michel Dufour ose tout et continue d'avancer, comme un joueur porté par l'enthousiasme, l'euphorie du succès.

 

Sortilège, Dufour 35, 27, 34,31... Les modèles se multiplient, la gamme s'élargit avec des bonheurs divers. «Ce n’était pas tout de produire, il fallait vendre !» lance James Léger. Et le patron y consacre toute son énergie. Pour écouler la production, un double credo : veiller à la qualité et développer l'exportation. Il organise un réseau d'agents dans toute l'Europe, crée une filiale en Italie et aux États-Unis...

 

C'est d'Amérique que devait venir le salut. C'est là-bas qu'elle connaîtra ses premières difficultés, engloutissant des sommes folles pour vendre des voiliers à perte... En 1973, Michel Dufour SA reçoit l'Oscar de l'exportation. La même année s'ouvre le premier Grand Pavois, créé par les constructeurs rochelais sur une idée de Michel. Ironie du sort, cette reconnaissance coïncide avec l'augmentation du prix du pétrole, amorçant une crise qui mettra en péril le premier chantier européen.

 

D'un coup la demande fléchit. L'usine, qui emploie 570 personnes, n'a du travail que pour la moitié. Les États-Unis, au marché prometteur, mais au dollar faible, ne peuvent absorber les bateaux dont l'Europe ne veut plus. Dans une entreprise qui n'a connu que la croissance, les incertitudes font naître des conflits. Les syndicats adoptent une stratégie de rupture radicale. Face à eux, le PDG Michel Dufour se sent trahi dans la confiance qu'il leur portait. «Quand il avait des convictions, il les défendait mordicus. Il pouvait être cassant et remettre les gens en place sans ménagement, explique Francis Des­champs.

 

Par ailleurs, je le sentais dépassé par les problèmes. Il perdait le contact. Du dessin du bateau au marketing, il faisait trop de choses, il ne pouvait pas tout contrôler seul.» Dans un entretien accordé en 1975 à notre confrère Bateaux, Michel Dufour corrobore ce point de vue. «Si je devais partir aujourd'hui, je chercherais avant tout à m'assurer la collaboration de deux éléments clés. L'un serait un homme de chiffres qui suivrait la marche de l'affaire, l'autre un homme de flair qui saurait choisir les hommes...». Le seul entrepreneur à se porter à la rescousse de Michel Dufour est un homme de sa trempe.

 

Début 1976, le baron Marcel Bich se porte caution d'un prêt bancaire destiné à donner un peu de souffle à une société lourdement endettée. Quelques mois après, il est majoritaire. Le chantier va se réorganiser en profondeur. Michel Dufour doit quitter son entreprise. Il a toujours de l'estime pour Bich, mais ce départ est un déchirement : «C'était comme son enfant», affirme James Léger.

 

Abattu, meurtri, Michel Dufour tente encore de dessiner des bateaux au sein de son bureau d'études avec Jacques Delhumeau, mais, au bout de trois mois difficiles, il arrête. Par dépit, il s'isole, choisit de partir à l'opposé de ce qu'il avait fait : l'agriculture. Après deux années d'essais sur des terres louées dans le Gers, il se porte acquéreur d'une propriété de 70 hectares à côté de Jonzac. Loin du milieu de la plaisance, voilà un domaine où il peut librement s'exprimer et créer.

 

L'ingénieur arrache des vignes à Cognac pour planter 25 000 pommiers, aménage des chambres à atmosphère contrôlée pour conserver ses fruits, fait creuser un puits et met en place un système d'arrosage au goutte-à-goutte... Une détermination méthodique qui bouscule les habitudes. «C'est formidable ce qu'il apporte ce gars-là !» s'exclame son contremaître lors d'une conversation avec Bertrand Chéret. Au volant de son camion, Michel Dufour va livrer ses pommes au Carrefour de Bordeaux. Solitaire, il vit dans un inconfort total, mais aime cette vie. Hélas, une série de mauvaises récoltes, de méventes et l'intransigeance de la banque locale l'obligent à abandonner.

 

Est-il anéanti? Non. Michel Dufour, endetté jusqu'au cou, semble être en fusion permanente... Un passage chez Yachting France comme conseiller pour la fabrication du Lacoste 42, et le voilà à Rochefort. Neuf ans après son départ, il est de retour dans le domaine du bateau ! Avec son compère Roger Mallard (dont le chantier a disparu), ils sont engagés pour concevoir et mettre en œuvre un nouvel atelier destiné à construire des voiliers de luxe, Maxi Yachts International. «Ingénieur ingénieux», comme dit Jacques Marot, le responsable menuiserie de cette entreprise (aujourd'hui le chantier CIM), Dufour fait encore preuve d'imagination en créant ici une nacelle hydraulique, là des outils de retournement des coques...

 

Cette aventure industrielle se termine au bout de trois ans par une brouille et un dépôt de bilan dont il n'est pas responsable ! Depuis, Michel Dufour avait rayé le bateau de sa vie. En février dernier, accompagné de son fils Laurent, 19 ans, il passe en voiture devant l'usine Dufour. «Tiens, tout cela était à nous !» Laurent découvre l'ampleur d'un passé - synonyme d'échec -, dont il ne lui parlait jamais spontanément. «Je n'étais pas fait pour être un chef d'entreprise, mais pour être un animateur», lui disait-il.

 

À la retraite, Michel Dufour s'est passionné pour le golf et le bridge avec le même regard non-conformiste, la même obsession du détail que pendant les années de travail. «Son grand souci était de rester objectif, d'étudier le plus précisément tous les aspects d'un problème avant d'en parler ou de construire quelque chose», précise Laurent. Il avait aménagé son appartement en recherchant la meilleure lumière et pouvait alors passer des heures à contempler un tableau de Frédérique Menguy. Il spéculait rationnellement en bourse en rêvant d'une fabuleuse maison en Espagne, pour finalement perdre beaucoup d'argent.

 

 

À force de vouloir perfectionner le réel avec sa logique d'ingénieur,

Michel Dufour, le savait-il ?

 

Michel Dufour, s'immisçait dans les territoires sensibles de l'utopie et de l'art.